En octobre dernier, quarante-quatre experts scientifiques en provenance de quinze pays différents ont rédigé et signé une lettre sur les dangers de l’effondrement du courant Amoc. Le réchauffement climatique affaiblit le méga-courant, ce qui risque de provoquer un refroidissement lourd de conséquences dans certaines régions du monde. L’effondrement de ce courant dans l’Atlantique risque de provoquer un dangereux refroidissement dans certaines régions du monde. Cette lettre explicative[1] était destinée au Conseil nordique des ministres, une organisation intergouvernementale créée par les pays nordiques constituée par le Danemark, l’Islande, la Norvège, la Suède et la Finlande et leurs territoires autonomes (Groenland, îles Féroé et Åland). Parmi les signataires, des experts des pays scandinaves, mais aussi d’Australie, de Chine, d’Angleterre, d’Allemagne, des États-Unis et de France. Tous ces scientifiques alertaient sur le risque de franchissement d’un point de non-retour qui aura de lourdes conséquences sur le climat. Un point de basculement correspond à un seuil qui, s’il est franchi, entraîne des changements potentiellement irréversibles dans un système. Le moment où un petit changement fait une grande différence et modifie l’état ou le destin du système. Or, les activités humaines, le changement climatique, mais aussi la dégradation des milieux et la pollution mettent la stabilité de nombreux systèmes terrestres en péril. Et l’un d’entre eux est l’effondrement du courant marin Amoc (circulation méridienne de retournement atlantique), contribuant à un refroidissement et à la hausse du niveau de la mer. Selon certains scientifiques, ce risque a été largement sous-estimé, notamment par le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat). Dans son dernier rapport, le Giec explique « avoir une confiance assez moyenne concernant le fait que l’Amoc ne devrait pas s’effondrer brusquement avant 2100 ». Depuis cette publication, de nouvelles études[2] estiment désormais que l’effondrement de ce courant pourrait se produire dans quelques dizaines d’années. Or, il n’y a pas que le fonctionnement de l’atmosphère qui se trouve perturbé par les émissions de gaz à effet de serre, les océans sont également affectés. L’atmosphère et les océans sont impactés, comme un serpent qui se mord la queue. Si ce « seuil de rupture » est atteint, le climat basculera de manière irréversible dans un état complètement différent de celui que nous connaissons actuellement.
Sur la base de centaines d’études scientifiques, le Global Tipping Points Report 2023[3], dirigé par le professeur Tim Lenton du Global Systems Institute de l’université d’Exeter, suit les évolutions de ces points de bascule. De nombreux éléments de preuve montrent par exemple qu’il existe des points de non-retour « à grande échelle » associés à la fonte des calottes glaciaires de l’Arctique et de l’Antarctique occidental. La circulation méridienne de retournement atlantique (Amoc), l’un des principaux courants océaniques au monde, pourrait elle aussi être à l’origine d’un point de basculement à mesure que les températures grimpent et qu’elle reçoit de plus en plus d’eau froide et douce issue de la fonte des glaces. Du côté de la biosphère, d’autres facteurs que le réchauffement climatique, la perte d’habitat ou encore la pollution, par exemple, peuvent avoir des effets délétères. Et rendre les points de non-retour plus faciles à atteindre. En Amazonie, la déforestation contribue à faire dépérir la forêt jusqu’à la faire basculer vers un paysage de savane.
Les scientifiques rappellent que plus notre Planète se réchauffe, plus la probabilité de franchir des points de non-retour augmente. Pour déterminer à quel moment cela risque d’arriver, ils étudient les oscillations des systèmes, les signes qui montrent qu’ils perdent en résilience. Ces signes ont déjà été observé dans la forêt amazonienne. En vingt ans, les trois quarts de sa surface peinent à résister aux sécheresses et aux vagues de chaleur à répétition. Et la déforestation ne fait qu’aggraver la situation. Le point de basculement pourrait être proche. Plus généralement, le Global Tipping Points Report 2023 conclut que le niveau de réchauffement climatique que nous avons déjà atteint pourrait suffire à nous faire franchir cinq points de non-retour : l’effondrement de la calotte glaciaire de l’Arctique et de l’Antarctique de l’ouest, de la disparition des récifs coralliens d’eau chaude, du dégel brutal et généralisé du pergélisol et de l’effondrement de la circulation inverse dans le gyre subpolaire de l’Atlantique nord. Si la température mondiale venait à se réchauffer jusqu’au fameux seuil des +1,5 °C, trois autres points de basculement pourraient être franchis à leur tour. Ceux qui touchent aux forêts boréales, aux mangroves et aux écosystèmes côtiers. Les chercheurs notent par ailleurs que les modèles actuels sous-estiment probablement les risques pour les systèmes terrestres de basculer. En cause, des connaissances inégales et fragmentées qui nous font courir le risque que les seuils soient franchis à des niveaux de réchauffement climatique moindre que ceux qui sont aujourd’hui attendus.
L’année 2024 est assurée d’être la plus chaude jamais enregistrée sur la planète, et la première à franchir le plafond de +1,5°C. A moins d’un scénario improbable, celui d’un mois de décembre inexplicablement froid en de nombreuses régions du monde, le sort de l’année qui s’achève semble d’ores et déjà scellé. « A ce stade, il est certain que 2024 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée », avait annoncé le 9 décembre 2024 Copernicus, qui publie chaque mois un bulletin actualisé des températures globales. Dans un communiqué, la directrice adjointe du service dédié au changement climatique de cet observatoire européen (C3S), Samantha Burgess, déclarait que, comme octobre avant lui, le mois de novembre écoulé « confirme avec quasi-certitude » que 2024 détrônera 2023 comme année la plus chaude jamais mesurée, une fois que les relevés de décembre seront connus. Et pour cause, l’observatoire rapporte que la moyenne des températures relevées depuis janvier fait état d’une « anomalie » de +0,14°C par rapport à la même période l’année dernière. Par ailleurs, 2024 sera « la première année civile au-dessus de 1,5°C » par rapport aux niveaux préindustriels, poursuit Copernicus, citant le plafond symbolique fixé par l’accord de Paris. Cela signifie qu’une action climatique ambitieuse est plus urgente que jamais. Avec une température moyenne de l’air fixée à 14,1°C (soit 1,62°C au-dessus du niveau préindustriel), novembre 2024 a été le deuxième mois de novembre le plus chaud jamais enregistré à l’échelle mondiale, derrière novembre 2023. Novembre 2024 est également juste derrière le record de novembre 2023 en matière de température moyenne de la surface de la mer (SST) : 20,58°C sur l’ensemble du globe, soit seulement 0,13°C en dessous de novembre 2023.
Concernant le méga-courant Amoc, il transporte les eaux chaudes de l’océan Atlantique sud vers les hautes latitudes de l’océan Atlantique nord. Cette eau se refroidit alors et forme des « cellules » de différentes températures qui jouent un rôle important, en effet, elles redistribuent la chaleur et le carbone dans plusieurs zones. Ce mécanisme est indispensable pour le fonctionnement global de l’océan, de la vie marine en faisant voyager le plancton et du climat. Le courant Amoc influence fortement la météo de l’Europe, de l’Amérique, mais aussi de l’Afrique. Il participe aussi à la circulation des eaux de fond de l’Antarctique, qui sont les eaux les plus froides, et les plus oxygénées de l’océan. Celles-ci se trouvent en-dessous de 4000 mètres de profondeur. Les spécialistes des océans qualifient ces eaux de fond de « ventilation des océans ». Or, l’étude américaine[4] montre que le transport d’eau, vers les eaux de fond de l’Antarctique, a chuté de 12% entre 2000 et 2020 en raison du réchauffement important de l’ouest de l’Antarctique. La hausse des températures en Antarctique affaiblit l’Amoc, qui joue alors de moins en moins son rôle de transport des eaux. Cette dilution constatée des eaux froides de profondeur serait donc la preuve que l’Amoc faiblit d’année en année et que ses conséquences sont déjà perceptibles. Ce réchauffement a non seulement réduit la quantité d’eaux froides de fond, mais aussi contribué à l’élévation du niveau de la mer. Le réchauffement de ces eaux profondes aurait ainsi fait gagner au niveau de la mer 2,8 mm supplémentaires. Les zones les plus inaccessibles des océans souffrent désormais des conséquences du réchauffement ? Selon la NOAA[5], ces conclusions sur les eaux de fond de l’Antarctique montrent que même les zones les plus inaccessibles, comme les profondeurs des océans, sont affectées par les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines. L’étude se concentre ici sur l’océan Atlantique nord, mais ces premières observations tendent à laisser penser que ce type de transformations serait présent dans tous les océans. Ce qui accentue l’aggravation du réchauffement et la disparition de la vie marine
Grâce à ce mécanisme de circulation, l’eau chaude est poussée vers le nord dans l’Atlantique en direction du Groenland et de la Norvège : elle se refroidit, s’évapore, et devient plus salée. Son poids, plus lourd, la fait alors redescendre dans les profondeurs en se dirigeant vers le sud. Ce mouvement fait aussi circuler les nutriments qui sont à la base de la chaîne alimentaire. De plus, cette interaction entre l’eau de mer et l’air est à l’origine d’une réaction chimique qui permet d’absorber le CO2 et de le séquestrer dans les profondeurs de l’océan. Le phytoplancton pompe alors ce dioxyde de carbone pour effectuer sa photosynthèse. L’affaiblissement de ces grands courants océaniques aurait donc deux conséquences majeures :
– un réchauffement aggravé du climat, car les océans ne pourraient quasiment plus absorber le CO2, l’un des principaux gaz à effet de serre ;
– une disparition massive de la vie marine, car le phytoplancton et les autres nutriments à la base de la chaîne alimentaire seront en nette diminution et ne pourront plus voyager au gré des courants.
En plus de ces deux effets principaux, la météo sera complètement bouleversée avec un affaiblissement, même léger, de l’Amoc, qui aura pour conséquence d’entraîner une baisse importante des précipitations dans certaines régions du monde, comme l’Afrique. Les auteurs rappellent que la survie de l’humanité dépend du bon fonctionnement de cette « pompe à carbone » : sans elle, tout le CO2 que nous émettons à travers nos activités n’aura d’autre choix que de se disperser dans l’atmosphère, faisant augmenter la hausse des températures.
Or, l’Amoc régule le climat européen, américain et africain. Le méga-courant Amoc transporte les eaux chaudes de l’océan Atlantique sud vers les hautes latitudes de l’océan Atlantique nord. Cette eau se refroidit alors et forme des « cellules » de différentes températures qui redistribuent la chaleur et le carbone dans plusieurs zones. Ce courant, dont le Gulf Stream constitue l’un des segments, influence donc fortement la météo de l’Europe, de l’Amérique, mais aussi de l’Afrique. Cependant, le réchauffement climatique est en train de tout bousculer : la hausse des températures en Antarctique affaiblit l’Amoc, qui joue alors de moins en moins son rôle de transport des eaux. Le réchauffement a réduit la quantité d’eaux froides de fond, mais aussi contribué à l’élévation du niveau de la mer. Un changement dans la circulation de l’océan serait dévastateur avec des conséquences irréversibles pour les pays nordiques et d’autres pays du monde ». L’Amoc est le mécanisme dominant qui transporte de la chaleur à travers l’océan Atlantique, ce qui détermine également la vie de tous les habitants de l’Arctique. Un tel changement dans l’océan entraînerait un refroidissement majeur des régions nordiques.
La masse d’air froid, qui circule déjà au-dessus de ces régions, subirait alors une énorme extension, ce qui mènerait à des phénomènes météo extrêmes sans précédent qui influenceraient aussi les autres pays. Tout le nord-ouest de l’Europe pourrait alors être affecté par un changement de météo, pas seulement au niveau des températures, mais aussi au niveau des pluies, avec un impact important sur l’agriculture. En météorologie, tout est connecté dans l’atmosphère, voilà pourquoi les conséquences ne concerneront pas seulement les pays scandinaves. Les scientifiques précisent que « l’adaptation à des conditions climatiques aussi extrêmes n’est pas une option viable ». Les experts demandent donc de prendre toutes les mesures nécessaires pour que le réchauffement ne dépasse pas le seuil des +1,5 °C comparé au niveau préindustriel, un seuil a priori déjà atteint selon les dernières observations.
Alors que l’accélération du réchauffement climatique incite au pessimisme, il est encore possible d’éviter le pire. Depuis le début de l’ère industrielle, la Terre se réchauffe. Lentement, mais sûrement. Et elle semble aujourd’hui proche de ce que les scientifiques appellent son point de non-retour. Un seuil au-delà duquel la situation pourrait dramatiquement se dégrader. Le dépassement de ces points de non-retour aura des conséquences globales sur le système planétaire. La fonte de la calotte glaciaire antarctique ferait monter le niveau des océans d’environ deux mètres avec pour conséquence, près de 500 millions de personnes exposées à des inondations annuelles. Le basculement de l’AMOC pourrait quant à lui menacer l’approvisionnement en eau et la sécurité alimentaire du monde entier. Et la perte de l’Amazonie serait dramatique pour la biodiversité. Le tout d’autant plus, que le basculement de certains systèmes, a des effets accélérateurs sur le réchauffement climatique. Le dégel du pergélisol, par exemple, qui libère des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et réchauffe encore un peu plus notre planète. L’effondrement du courant Amoc n’a plus rien d’un scénario de film catastrophe, mais présente en revanche toutes les caractéristiques d’une réalité scientifique qui nous rattrape.
[1] Lettre ouverte des scientifiques du climat – Au Conseil nordique des ministres – Reykjavik, octobre 2024. « Nous, soussignés, sommes des scientifiques travaillant dans le domaine de la recherche climatique et estimons qu’il est urgent d’attirer l’attention du Conseil nordique des ministres sur le risque sérieux d’un changement majeur de la circulation océanique dans l’Atlantique. Une série d’études scientifiques réalisées ces dernières années suggèrent que ce risque a été jusqu’à présent largement sous-estimé. Un tel changement de la circulation océanique aurait des effets dévastateurs et irréversibles, en particulier pour les pays nordiques, mais aussi pour d’autres régions du monde. » https://en.vedur.is/media/ads_in_header/AMOC-letter_Final.pdf
[2] « Is the Atlantic overturning Circulation approaching a tipping point ? » By Stefan Rahmstorf. « The Atlantic Meridional Overturning Circulation has a major impact on climate, not just in the northern Atlantic but globally. Paleoclimatic data show it has been unstable in the past, leading to some of the most dramatic and abrupt climate shifts known. These instabilities are due to two different types of tipping points, one linked to amplifying feedbacks in the large-scale salt transport and the other in the convective mixing that drives the flow. These tipping points present a major risk of abrupt ocean circulation and climate shifts as we push our planet further out of the stable Holocene climate into uncharted waters. » https://tos.org/oceanography/assets/docs/37-rahmstorf.pdf
[3] Global Tipping Points est dirigé par le professeur Tim Lenton du Global Systems Institute de l’université d’Exeter, avec le soutien de plus de 200 chercheurs de plus de 90 organisations dans 26 pays.
Le rapport sur les points de basculement mondiaux a été lancé lors de la COP28, le 6 décembre 2023. Il s’agit d’une évaluation fiable des risques et des opportunités liés aux points de basculement négatifs et positifs du système terrestre et de la société. https://report-2023.global-tipping-points.org/
[4] « Warming of Antarctic deep-sea waters contribute to sea level rise in North Atlantic, study finds. » By Diana Udel, April, 19, 2024. « Analysis of mooring observations and hydrographic data suggest the Atlantic Meridional Overturning Circulation deep water limb in the North Atlantic has weakened. Two decades of continual observations provide a greater understanding of the Earth’s climate regulating system. » https://news.miami.edu/rosenstiel/stories/2024/04/warming-of-antarctic-deep-sea-waters-contribute-to-sea-level-rise-in-north-atlantic-study-finds.html
[5] « The Atlantic Meridional Overturning Circulation is weakening in the deep sea of the North Atlantic Ocean, study finds » https://www.aoml.noaa.gov/atlantic-meridional-overturning-circulation-weakening-in-the-deep-sea-of-north-atlantic/