En juin dernier, les États-Unis ont mis en garde contre le potentiel de mise en orbite d’une arme supposée et dangereuse par une mission spatiale russe, composée du satellite Cosmos 2576. La tension entre les États-Unis, la Russie et la Chine s’est considérablement accrue depuis l’intervention russe en Ukraine. Désormais, deux blocs s’opposent, en raison des importants intérêts économiques, militaires et géopolitiques qui existent entre ces deux blocs, le bloc occidentale et le bloc eurasiatique. C’est dans ce contexte, que la Russie a mis en orbite des satellites, qui préoccupe les experts américains, qui ne connaissent pas la nature de ces satellites, ce qui augmente les spéculations concernant la mise en orbite, d’une nouvelle arme, pouvant détruire les satellites occidentaux et mettre en danger les intérêts spatiaux des Etats-Unis et de ses partenaires.
En avril 2022, la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris annonçait que les Etats-Unis cessaient désormais de réaliser des tests de missiles anti-satellite (Asat)[1], c’est-à-dire capables de détruire un satellite en orbite. L’annonce avait été faite depuis la base militaire de Vandenberg de l’US Space Force et faisait suite au dernier test réalisé par la Russie en novembre 2021 et il s’inscrivait dans un contexte de pollution de l’espace. La Russie est l’une des seules puissances spatiales à ne pas avoir ratifié le traité bannissant les tirs antisatellites de démonstration. Si les États-Unis sont les premiers à avoir stoppé leur programme de test de tirs anti-satellite, ils furent néanmoins les premiers à en avoir réalisé. Ils sont d’ailleurs ceux qui en ont effectué le plus. Le dernier test remonte à 2008 et la plupart des autres tests ont été faits au siècle dernier. Les États-Unis disposent donc toujours d’une force de frappe anti-satellite, ils ont juste décidé d’arrêter les tests. La raison principale étant la pollution de l’espace, en un mot, il y a aujourd’hui trop de débris, autour de la planète.
En novembre 2021, la Russie a procédé à la destruction par un intercepteur à ascension directe (DA-ASAT – Direct Ascent Anti-SATellite) de l’un de ses vieux satellites d’écoute électronique qui était positionné sur une orbite basse à un peu moins de 500 km d’altitude. Aussitôt, les moyens de surveillance de l’espace dont disposent les grandes puissances ont signalé l’ampleur des débris générés et la communauté internationale a réagi en condamnant ce tir. L’équipage à bord de la station internationale (quatre astronautes américains, un Allemand et deux cosmonautes russes) a été réveillé, a appliqué les procédures d’urgence et s’est mis en sécurité pendant près de deux heures, par crainte que des débris ne viennent endommager l’ISS. La Russie a ensuite fini par reconnaître qu’elle avait effectué cet essai, mais sans donner de détails sur les moyens mis en œuvre (intercepteur, radars, commandement…). Nous savons aujourd’hui, qu’il s’agissait d’un tir de missile Asat A-235 Nudol sur l’ancien satellite soviétique Kosmos 1408[2]. Le Cosmos-1408 présentait alors de multiples avantages pour justifier d’être la cible d’une telle interception. Sa trajectoire était évidemment parfaitement connue et facilement prévisible, son altitude de vol était compatible avec les performances du Nudol, l’absence d’ergols à bord réduisait le risque de générer un nombre encore plus important de débris et sa masse et ses dimensions lui conféraient une signature suffisante pour l’autodirecteur embarqué à bord de l’intercepteur.
Le Nudol[3] est un programme d’intercepteur qui existe depuis les années 2000. Il tire son nom d’une petite ville localisée au nord-ouest de Moscou à proximité d’une zone de déploiement des intercepteurs de l’ancien système A-35M de défense anti-missile exo-atmosphérique qui protégeait Moscou face à une éventuelle frappe de missiles balistiques. Ce système porte plusieurs désignations : 14Ts033 en Russie, PL-19 aux Etats-Unis (PL signifiant que ce système a été détecté pour la première fois à Plessetsk, sur son site d’essais en vol). L’explosion du satellite avait généré 1500 débris spatiaux – mais ce nombre a été revu à la baisse – menaçant à la fois la Station spatiale internationale et la station spatiale chinoise.
La « communauté internationale » au travers de la Nasa, du Pentagone, de la Maison-Blanche, de l’Agence spatiale européenne avaient immédiatement réagi en condamnant l’essai et de nombreuses voix s’étaient élevées pour critiquer la Russie, en soulignant les dangereuses conséquences de cette expérimentation, aussi bien pour les stations spatiales habitées actuelles et futures que pour les satellites positionnés sur ce type d’orbite. Mais ce n’était pas la première fois qu’un tir test anti-satellite était réalisé. Le dernier remonte à mars 2019, il avait été réalisé par l’armée indienne, ce fut une première pour l’Inde. Il produisit des milliers de débris spatiaux dont certains traînent encore en orbite basse à ce jour, alors que les autorités avaient garanti qu’ils ne subsisteraient pas plus de quelques mois.
Le tir anti-satellite qui a le plus marqué les esprits est celui de la Chine en 2007. Il fut réalisé beaucoup plus haut que les autres, à plus de 800 km (deux fois plus haut que l’ISS). Par conséquent, les débris générés ont été beaucoup moins en contact avec les rares molécules de l’exosphère terrestre et ont eu moins tendance à redescendre brûler dans notre atmosphère. A ce jour, ils subsiste encore de nombreux débris de ce tir. L’essai russe du 15 novembre 2021 avait dû avoir été préparé de longue date et il s’inscrivait dans la logique de développement d’un système d’interception dual, à la fois anti-satellite et anti-missile. Les technologies mises en œuvre sont effectivement très proches. On a désormais une meilleure compréhension des circonstances de l’essai. On connaît à peu près l’heure de l’interception et la cinématique qui a consisté à attendre que le satellite passe à proximité du site de lancement de l’intercepteur selon le même azimut pour tirer le Nudol, un peu avant l’arrivée du satellite, de manière à ce que ce dernier rattrape l’intercepteur, laissant au véhicule terminal le temps de manœuvrer pour se placer exactement sur la trajectoire, un peu sur le principe du rendez-vous, sauf que la différence de vitesse a été suffisante pour réaliser l’interception.
De plus, alors que l’on pensait au départ que le nuage de débris allait se composer de plus de 1500 fragments et que ceux-ci pourraient menacer rapidement les autres objets en orbite basse et la station internationale, il semble que le nombre de débris traçables soit plutôt de l’ordre de 500 (en supposant que le référentiel de ces deux évaluations soit identique). D’autres vont sans doute venir s’ajouter, mais on peut penser que le nombre total sera contenu. Ceci ne veut pas dire que le nuage ne présente aucun danger, car d’une part il faut tenir compte des débris qui ne sont pas observables par les moyens actuels, et d’autre part il faudra sans doute à terme faire manœuvrer un certain nombre de satellites pour éviter une collision. De ce point de vue, la destruction du Cosmos-1408 aura des effets de nuisance vis-à-vis de l’environnement spatial. Mais on n’est pas au niveau de l’essai anti-satellite chinois du 11 janvier 2007, qui avait généré plus de 3000 débris traçables. Cet essai constituait cependant une nouveauté technologique pour la Russie, qui avait procédé pour la première fois à l’interception directe d’une cible dans l’espace par effet cinétique. C’est sans doute l’un des messages envoyés par la Russie. Alors même que la problématique des débris spatiaux et les perspectives de confrontation dans l’espace sont au cœur des discussions internationales, les autres messages restent pour l’heure confus et contradictoires, et de nombreuses hypothèses peuvent être avancées. Quelles que soient les motivations russes, il n’en demeure pas moins que cet essai est une illustration parfaite de la dissonance entre les débats internationaux sur le sujet et les approches pragmatiques nationales. Les infrastructures satellitaires sont donc devenus indispensables pour mener une guerre. Les satellites d’imagerie et de télécommunication servent à coordonner les troupes, les équipements militaires et à collecter des informations de terrains, d’écoutes et de guidage.
Depuis des années, les principales puissances spatiales se livrent une guerre satellitaire larvée. La Russie dispose d’une grande capacité « tactique » dans l’espace. En 2021, l’armée russe en avait fait la démonstration en détruisant un satellite en orbite par un tir de missile. Mais, pour l’instant, la Russie n’a pas décidé de s’attaquer aussi ouvertement à un satellite commercial venant d’un pays de l’Otan. Il est plus difficile d’attribuer avec certitude les cyberattaques à la Russie. Dès le début de l’opération militaire spéciale en Ukraine, le National Reconnaissance Office (NRO), bureau fédéral des renseignements aux États-Unis et pilote de toute une flotte de satellites espions américains, a alerté sur des possibles cyberattaques sur des satellites commerciaux, notamment ceux utilisés par le gouvernement ukrainien. Un des premiers exemples était la cyberattaque du satellite de télécommunication KA-SAT de la compagnie américaine Viasat. Ce satellite desservait l’Europe et notamment l’Ukraine. Avec pour conséquence, plusieurs dizaines de milliers de modem de la filiale d’Orange Nordnet, qui avaient été mis hors service.
En mars dernier, la compagnie américaine HawkEye 360, spécialisée dans l’analyse géospatiale, avait annoncé avoir détecté des interférences dans les communications radio entre le sol et le réseau GPS dans la région de l’Ukraine et des environs. Les premières interférences avaient été repérées dès l’automne dernier. Pendant ce temps, les troupes russes préparaient l’invasion et réalisaient des exercices à la frontière. HawkEye 360 dispose d’une constellation de petits satellites spécialisés dans la détection de signaux radio issus de la surface. La constellation surveille ces signaux et est capable de localiser leur provenance à la surface. En novembre 2023, des interférences avaient été détectées près de la frontière entre les territoires séparatistes de Donetsk et de Louhansk, et le reste du territoire ukrainien. La constellation avait également localisé des interférences provenant du nord de Tchernobyl quelques jours avant l’invasion. La région est aujourd’hui sous le contrôle de l’armée russe. Il ne s’agit pas vraiment de cyberattaque ici, mais plus des tentatives de brouillage d’un signal provenant d’un réseau satellite. La Russie n’utilise pas le réseau GPS (américain) pour le positionnement par satellite mais son propre réseau nommé Glonass. L’Europe utilise le système Galileo. Dans l’espace, les menaces se multiplient également. Les pays devront donc être capables de protéger leurs satellites. La Russie et la Chine ont toujours été particulièrement surveillé par les puissances occidentales, s’agissant de la sécurité des satellites. La Chine a également des antécédents dans ce domaine, pour avoir effectué des approches dangereuses de satellites commerciaux. C’est pour surveiller ces deux puissances alliées, que la Space Force est née aux États-Unis. La France a suivi le même scénario avec la création du Commandement de l’Espace et l’ensemble des puissances spatiales devront suivre ce scénario relatif à la menace grandissante des attaques de satellites.
[1] Fact Sheet: Vice President Harris Advances National Security Norms in Space. New U.S. Commitment on Destructive Direct-Ascent Anti-Satellite Missile Testing – April 18, 2022. Fact Sheet : Vice President Harris Advances National Security Norms in Space | The White House
[2] Le Cosmos-1408 était un satellite militaire d’écoute électronique (ELINT) vieux de 40 ans de type SIGINT et appartenant à la série des Tselina-D (dont c’était le 38ème exemplaire), construits par l’entreprise ukrainienne Youjnoye sous la désignation « 11F619 Ikar » et équipés d’une charge utile fournie par l’institut TsNII-108 GKRE. Les Tselina-D ont été mis en orbite de 1970 à 1984, avec pour mission de détecter les signaux radio, notamment ceux émis par les radars. Sa masse au lancement était de 1 750 kg et il devenu inactif au bout de six mois. On notera que ce type de satellite ne comporte pas de réservoirs d’ergols, sa stabilisation 3 axes se faisant par un système de gradient de gravité. Au moment de l’interception, il était sur une orbite de 465×490 km, inclinée à 82,5637° et faisait environ quinze fois le tour de la Terre chaque jour, ce qui fait qu’il passait très souvent au-dessus de la Russie, et plus particulièrement au-dessus de Plessetsk, précisément la zone d’où l’interception a été réalisée, ce qui présentait un intérêt particulier. Au moment où le satellite Cosmos-1408 a été intercepté, il passait au-dessus du territoire russe selon un axe sud-ouest/nord-est, c’est-à-dire exactement dans la même direction que l’azimut de tir du Nudol.
[3] Ce système porte plusieurs désignations : 14Ts033 en Russie, PL-19 aux Etats-Unis (PL signifiant que ce système a été détecté pour la première fois à Plessetsk, sur son site d’essais en vol).