Depuis le déclenchement de son opération « Déluge d’Al-Aqsa » le 7 octobre 2023, le Hamas a certes ramené la question palestinienne au cœur des affaires internationales, mais il a aussi donné une visibilité sans précédent à toute une série de phénomènes miliciens collectivement étiquetés comme « l’axe de la résistance » aligné sur l’Iran. Depuis 1979, Téhéran a structuré avec application des mouvements de résistance en exploitant les fragilités politiques et militaires régionales. Avec la chute de Bachar El-Assad et de son proxy syrien, l’axe de la résistance a subi ces derniers mois de sérieux revers, mais il ne s’est pas totalement effondré. Ces derniers mois, cette série de coups subis par l’Iran ont été marqué par la mort de l’ancien chef du mouvement Hezbollah au Liban, Hassan Nasrallah, tué lors d’une frappe aérienne israélienne à Beyrouth en septembre 2024, ou de Qassam Soleimani, ancien commandant militaire très influent des Gardiens de la révolution iraniens, tué sur ordre de Donald Trump lors de sa première présidence et qui a culminé en décembre dernier avec la chute d’un allié clé, le président syrien Bachar El-Assad.
La Syrie a longtemps été un point névralgique dans les relations géopolitiques du Moyen-Orient. Avec le régime de Bachar El-Assad, le pays a été perçu comme un pilier de l’« axe de la résistance », un bloc regroupant des acteurs comme l’Iran et le Hezbollah, opposé à l’influence occidentale et israélienne dans la région. Toutefois, la situation en Syrie a connu des bouleversements majeurs ces dernières années, surtout avec les révoltes populaires commencées en 2011, suivies d’une guerre civile dévastatrice, appuyée par les services occidentaux, notamment par la CIA. La chute du président Bachar El-Assad, en décembre dernier, peut avoir des répercussions non seulement pour la Syrie, mais aussi pour l’ensemble de l’axe de la résistance. La perte d’un allié aussi stratégique que la Syrie a affaiblit considérablement la position de l’Iran et du Hezbollah. En effet, la Syrie servait de corridor terrestre essentiel pour l’Iran afin de soutenir le Hezbollah au Liban. Une Syrie instable, dont le territoire est désormais partitionné et occupé par des puissances étrangères, avec un nouveau régime inféodé à certains pays, restreint désormais cette ligne d’approvisionnement, rendant plus difficile la mobilisation des forces de l’axe de la résistance dans la région. De plus, la chute de Bachar El-Assad a créé un vide politique qui peut être exploité par des groupes extrémistes, aggravant encore plus l’instabilité dans la région. La lutte pour le pouvoir entre diverses factions en Syrie peut également ouvrir la porte à des rivalités sectaires, mettant à mal les efforts de stabilisation et entraînant également des conséquences négatives pour l’ensemble de la région. Alors que l’Iran panse ses plaies et se prépare à une nouvelle présidence de Donald Trump, décidera-t-elle d’adopter une approche plus dure ou reprendra-t-elle les négociations avec l’Occident ? Quelle sera la stabilité de l’axe de la résistance après la chute de Bachar El-Assad ? Et qu’en sera-t-il de la prochaine guerre dans la région ?
En décembre dernier, les services de renseignement américains estimaient que l’Iran se préparait à riposter et à mener une « attaque importante » contre Israël avant l’investiture du président élu Donald Trump. Ce ne fut pas le cas. D’une part, le guide suprême de l’Iran avait souligné à plusieurs reprises la nécessité de riposter à l’attaque israélienne sur le territoire iranien qui avait tué quatre membres de la défense aérienne en octobre dernier. D’autre part, les dirigeants iraniens considéraient que le risque d’une nouvelle attaque israélienne était « élevé », en particulier après le cessez-le-feu au Liban. Les autorités israéliennes avaient ouvertement déclaré qu’elles mèneraient la bataille contre l’Iran, probablement avant l’investiture de Trump, dés la libération des derniers otages ou possiblement après le 20 janvier 2025. Ce ne fut pas le cas non plus. L’Iran était probablement prêt à prendre des mesures préventives, à la fois pour exercer les représailles qu’il a promises et pour devancer une éventuelle attaque israélienne. Face à l’intransigeance des dirigeants israéliens, les dirigeants militaires et l’échelon politique iraniens, sont arrivé à la conclusion que seule une attitude plus agressive et proactive dissuadera suffisamment Israël, et ils étaient prêts à mener une attaque de grande envergure même si cela doit conduire à la guerre. La question est désormais de savoir si l’Iran continuera sa stratégie avec le soutien à « l’axe de la résistance ».
L’effondrement de la Syrie, risque de provoquer des réactions de la part d’autres pays, la Syrie devenant le lieu d’affrontement de ces rivalités notamment entre la Turquie, l’Iran, ou Israël, les pays arabes de la région, étant pour le moment, partiellement exclus de ces manœuvres. D’autant plus, que dans un discours prononcé le 22 décembre 2024, le guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, avait appelé les Syriens à résister au nouveau gouvernement dirigé par les rebelles après l’éviction de l’ancien président Bachar El-Assad, affirmant que le soulèvement était orchestré par l’Occident. L’ayatollah Ali Khamenei, avait dans ce discours, déclaré que les Syriens, en particulier les jeunes du pays, « devraient se dresser avec une forte volonté contre ceux qui ont conçu l’insécurité et ceux qui l’ont mise en œuvre ». Les États-Unis, la Russie et des puissances européennes ont également tous des intérêts divergents en jeu, ce qui pourrait conduire à une nouvelle escalade des tensions. Par conséquent, l’issue de la guerre en Syrie ne se résume pas à la seule question de la chute du président Bachar El-Assad; elle englobe des dynamiques régionales et internationales plus larges. La chute de Bachar El-Assad va probablement entrainer des difficultés importantes pour « l’axe de la résistance », remettant en cause son influence et sa capacité à projeter une opposition coordonnée face aux puissances qu’il cherche à neutraliser dans la région. La Syrie, au cœur de ce tableau complexe, pourrait ainsi devenir le théâtre de luttes d’influence exacerbées, redéfinissant les relations géopolitiques au Moyen-Orient pour les années à venir.
Si les premières initiatives d’encadrement milicien au Liban et de rapprochement politique avec la Syrie contre Israël ont surtout pris corps dans les années 1980 et 1990, les ramifications de la campagne américaine contre le terrorisme (2001) ont facilité le développement et/ou l’alignement d’autres proxies en Irak, dans les territoires palestiniens et au Yémen au cours des années 2000 et 2010. C’est dans le contexte de ces deux dernières décennies que ces différents acteurs ont progressivement été évoqués comme formant un « axe de la résistance » (mihwar al-muqawama), en pied-de-nez au fameux « axe du mal » (Iran, Irak et Corée du Nord) du président George W. Bush. Avec le temps, la libération de la mosquée Al-Aqsa en est devenue le mantra transversal, et le général Qassem Soleimani — commandant de la Force Al-Qods, tué par un drone américain en janvier 2020 — en est devenu la figure de leadership par excellence. D’une manière extrêmement simplifiée, il est question du Hezbollah libanais, de milices chiites ayant rejoint les forces armées du régime syrien de Bachar el-Assad, d’un conglomérat milicien chiite en Irak, qui se fait de plus en plus appeler la « résistance islamique en Irak » (RII), du mouvement Ansar Allah (plus souvent appelé « rebelles houthis ») au Yémen, et enfin du Hamas et du djihad islamique palestinien à Gaza et en Cisjordanie. Notons au passage que si les quatre premiers atouts de Téhéran partagent avec elle le fait d’être chiite (duodécimaine pour la plupart, zaydite pour les Houthis), les deux derniers sont sunnites. Le Hezbollah est sans équivoque la pièce maitresse de « l’axe de la résistance». Le lien Hezbollah-Iran s’appuie sur des liens qui remontent à plusieurs siècles, et est doctrinalement entériné à travers la notion de Marja’îyya[1] qui régule la hiérarchisation au sein du clergé chiite. C’est le CGRI qui a continuellement entrainé et armé la composante armée du Hezbollah (RII) depuis 1982. Phénomène initialement cantonné dans le Nord de la plaine de la Bekaa, le Hezbollah a connu un développement exponentiel sur un peu plus de quatre décennies pour acquérir sa structure actuelle : celle de l’acteur armé non-étatique le plus redoutable de tout le Moyen-Orient. La victoire du Hezbollah est derrière le retrait unilatéral de l’armée d’occupation israélienne du Sud-Liban en 2000, et il a infligé sa première défaite à l’armée d’occupation israélienne à l’issue de la guerre des 33 jours en 2006. Dans le cadre de la guerre civile syrienne, il a été l’acteur terrestre auquel le régime de Bachar El Assad a principalement dû son maintien au pouvoir à la suite de la bataille de Qoussair et la campagne de Qalamoun en 2013. Le segment syrien de « l’axe de la résistance » était pour sa part territorialement important puisqu’il alimentait directement le Hezbollah et élargissait le front du Sud-Liban au niveau du Golan. Or, ce territoire est désormais occupé par l’armée israélienne, qui s’est emparée de zones situées au-delà de la zone tampon. Cette annexion, qui a suscité des condamnations internationales, a été comme une mesure temporaire et défensive, mais il est peu probable que ces territoires stratégiques soient restitués à la Syrie dans un avenir proche. Si le Hezbollah constituait la pièce maîtresse du dispositif de Téhéran, la Syrie en était la plateforme logistique cruciale et lui servait de corridor entre son territoire et le Liban, puis vers Israël. Cette route est désormais coupée.
La réélection de Donald Trump va relancer le dossier du nucléaire iranien, qui avait stagné sous l’administration Biden. La diplomatie de Trump demeure imprévisible, mêlant des menaces explicites à des ouvertures diplomatiques ambiguës, brouillant la lecture stratégique sur les intentions réelles de la nouvelle administration. Si son premier mandat avait vu le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPoA) et l’imposition d’une politique de « pression maximale », son approche actuelle semble osciller entre continuité coercitive et nouvelles stratégies exploratoires. Le président Trump, fidèle à sa posture d’homme de confrontation, a laissé planer la menace d’une frappe préventive sur les infrastructures nucléaires iraniennes. Pourtant, cette rhétorique guerrière est contrebalancée par des signaux diplomatiques, notamment la nomination controversée de Steve Witkoff comme émissaire pour le Moyen-Orient, un choix qui interroge par le manque de connaissance de l’intéressé des dynamiques régionales. Certains y voient une manœuvre visant à renforcer l’agenda israélien, notamment à la lumière des liens croissants entre Tel-Aviv et les monarchies du Golfe. Les tensions s’intensifient dans un contexte régional bouleversé par des événements majeurs, tels que la partition et l’occupation territoriale de la Syrie, l’occupation du Sud Liban par l’armée israélienne, la continuité de la guerre à Gaza et de son génocide. Cet épisode a accentué les divisions entre les acteurs du Moyen-Orient tout en retardant les discussions entre Washington et Téhéran. L’attitude de Trump, ambiguë sur une éventuelle intervention israélienne contre l’Iran, reflète un équilibre fragile entre un soutien implicite au gouvernement israélien et la volonté affichée d’éviter une escalade militaire directe. À l’échelle internationale, une des principales clauses de caducité du JCPoA, permettant aux Occidentaux de rétablir toutes les sanctions des Nations unies levées contre l’Iran, expirera en octobre 2025. L’absence d’un cadre juridique renouvelé pourrait précipiter une montée des tensions. La situation met en lumière les limites d’une politique où les sanctions économiques et les menaces militaires n’ont, jusqu’à présent, ni brisé la résilience iranienne, ni affaiblit l’axe de la résistance, ni permis une avancée significative vers une désescalade durable et une paix dans la région.
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[1] Marja’îyya (en arabe : المَرجَعیّة الدینیة) est un concept chiite qui est liée à l’autorité religieuse d’un Marja, ou d’un Marja’-e Taqlîd. Marj’a signifie littéralement « référence » ou « source », et taqlîd signifie littéralement « imitation ».