La France a indiqué, le 27 novembre 2024, par la voix de son ministre des Affaires étrangères sa position concernant le mandat d’arrêt visant le Premier ministre israélien, en considérant que ce dernier bénéficie de l’« immunité ». Cette déclaration va à l’encontre des principes du Droit international et de la défense des droits de l’homme. Cette dernière déclaration contredisait la précédente déclaration du Premier ministre Michel Barnier du mardi 26 novembre, qui lui, avait affirmé que la France appliquerait « rigoureusement les obligations qui lui incombent » si le Premier ministre israélien se rendait en France, sans donner davantage de précisions. Michel Barnier n’avait toutefois pas dit de façon explicite si Paris procéderait à l’arrestation du dirigeant israélien si celui-ci se rendait sur le territoire français. « La France respectera ses obligations internationales étant entendu que le Statut de Rome exige une pleine coopération avec la Cour pénale internationale », affirmait le ministère des affaires étrangères, dans un communiqué. Mais le Quai d’Orsay précisait que ce statut « prévoit également qu’un État ne peut être tenu d’agir d’une manière incompatible avec ses obligations en vertu du droit international en ce qui concerne les immunités des États non parties à la CPI ». Or, « de telles immunités s’appliquent au Premier ministre Netanyahou et aux autres ministres concernés et devront être prises en considération si la CPI devait nous demander leur arrestation et remise », poursuivait le ministère.
L’affirmation de la France selon laquelle Netanyahou est « à l’abri » d’une arrestation internationale après l’émission d’un mandat d’arrêt par la Cour pénale internationale (CPI) est contraire au droit international. Les chefs d’État ne bénéficient pas de l’immunité devant la CPI, même s’ils appartiennent à un État qui n’a pas signé le traité fondateur de la Cour, le Statut de Rome, conformément aux articles 27 et 98(1) de la CPI. Ainsi selon les articles 27 et 98 (1), les règles d’immunité des représentants de l’État sont différentes selon que l’on se trouve devant des tribunaux nationaux ou internationaux. Si certains peuvent soutenir que Netanyahou, en tant que Premier ministre en exercice, a droit à l’immunité devant les tribunaux nationaux, les règles des tribunaux internationaux rejettent sans équivoque l’immunité des personnes relevant de leur juridiction. Selon l’article 27 du Statut de Rome, toutes les personnes recherchées sont égales devant la Cour, y compris les chefs d’État ou de gouvernement. Aucune immunité en vertu du droit international ne peut empêcher la Cour d’exercer sa juridiction. Cependant, il existe également un article qui introduit une exception pour les représentants d’États qui ne sont pas membres de la CPI, comme Israël. Selon l’article 98(1), la CPI ne peut pas forcer l’un de ses membres à arrêter un fonctionnaire d’un pays qui n’appartient pas à la Cour, si cela l’oblige à violer les obligations du droit international en matière d’immunité des États ou diplomatique. Mais si Israël et ses alliés sont censés monter une défense d’immunité, les jugements de la CPI dans le passé ont déjà fermé cette voie. En effet, aucun tribunal international n’a jamais conclu qu’un chef d’État ou une personne de haut rang pouvait prétendre bénéficier de l’immunité, et l’article 27 est censé codifier ce principe. Et en ce sens, la Chambre d’appel de la CPI a clairement statué qu’il n’y avait aucune immunité pour un chef d’État devant un tribunal international compétent, par opposition à un tribunal national.
La Cour a déclaré que l’article 98 (1) « fait uniquement référence aux actes d’activités gouvernementales qui sont généralement menés à l’étranger et sont protégés par les garanties de l’immunité diplomatique pour certains fonctionnaires et bâtiments ». La Cour a ajouté que la référence à l’immunité de l’État en vertu de l’article 98 (1) est liée à l’immunité d’un État et de ses biens, et non de ses dirigeants ou de ses fonctionnaires. Il est donc raisonnable de s’attendre à ce que la chambre préliminaire adopte une position similaire à l’égard de Netanyahou et Gallant. Il n’existe pas de traité consacrant des règles d’immunité en droit international, mais de telles règles peuvent être déduites de la pratique des États, des décisions judiciaires et de l’opinion des savants. Un représentant de l’État accusé de crimes internationaux graves tels que crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide peut invoquer deux types d’immunité devant les tribunaux nationaux ou internationaux. Il peut tout d’abord prétendre avoir droit à l’immunité fonctionnelle, qui le protège en permanence contre toute poursuite pour des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions officielles en tant qu’acteur étatique. Cette protection s’applique théoriquement pendant et après l’exercice de ses fonctions. Elle bénéficie aux fonctionnaires de tous rangs. Cependant, la jurisprudence pénale internationale qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a introduit une exception à cette règle en ce qui concerne les crimes internationaux graves. Les procès de Nuremberg, les tribunaux ad hoc de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda, ainsi que le Statut de Rome ont remis en cause de manière permanente la justification de ce type d’immunité en consacrant le concept de responsabilité pénale individuelle et la non-pertinence de la qualité officielle dans les cas d’allégations de crimes internationaux. Cela semble également être la position de la Commission du droit international, le principal organe d’experts de l’ONU chargé du développement et de la codification du droit international.
Le deuxième type d’immunité, connu sous le nom d’immunité personnelle, est plus controversé et est susceptible d’être le principal argument utilisé par les États pour refuser d’arrêter et de remettre les dirigeants israéliens à la CPI ou de les protéger des poursuites devant leurs tribunaux nationaux. L’immunité personnelle protège les chefs d’État, les premiers ministres et les ministres des Affaires étrangères contre les poursuites pendant leur mandat afin de préserver le bon fonctionnement des relations internationales et la capacité des fonctionnaires à exercer leurs fonctions sans entrave, y compris la représentation de leur État au niveau international. L’immunité personnelle est une règle de procédure qui s’applique lorsque les fonctionnaires sont présents sur le territoire d’un autre État à titre officiel. Dans le cas de Netanyahou, une telle immunité peut le protéger lorsqu’il se rend dans des États qui ne sont pas parties au Statut de Rome si ces États ont une compétence universelle sur les crimes internationaux, comme les États-Unis. La compétence universelle est un principe juridique qui permet à un État de poursuivre des personnes pour des crimes internationaux graves, quel que soit le lieu où le crime a été commis ou la nationalité de la victime ou de l’auteur.
Les types d’immunité mentionnés ci-dessus sont toutefois largement considérés comme inapplicables dans le cas d’un mandat d’arrêt émis par la CPI. En effet, il est incontestable que les représentants de l’État, quel que soit leur rang, ne bénéficient d’aucune immunité devant une cour internationale compétente, telle que la CPI. La raison d’être du Statut de Rome est de tenir les individus responsables des quatre crimes relevant de sa compétence (génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et agression) sans tenir compte de leur qualité officielle de représentants de l’État ou de dirigeants.
La CPI, en lançant son mandat d’arrêt, contre Netanyahou, en a fait officiellement un homme recherché. La Cour pénale internationale, à laquelle son État n’a pas adhéré et dont les États-Unis se sont retirés, avait lancé jeudi 21 novembre des mandats d’arrêt à l’encontre de Benyamin Netanyahou, de son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis au moins à partir du 8 octobre 2023 jusqu’au 20 mai 2024 » et du chef de la branche armée du Hamas palestinien Mohammed Deif pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis sur le territoire de l’État d’Israël et de l’État de Palestine depuis au moins le 7 octobre 2023.» Avec l’émission de ces mandats d’arrêt, la CPI a désormais des motifs raisonnables de croire qu’Israël commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza. En conséquence, tout gouvernement qui continue à soutenir et à armer Israël alors que ces crimes se poursuivent est prévenu qu’il pourrait être accusé de complicité. Lors d’une conférence de presse à Amman avec son homologue jordanien, Aymane Safadi, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell avait indiqué que: « c’est une décision d’une cour, d’une cour de justice, d’une cour de justice internationale. Et la décision de la cour doit être respectée et appliquée ». La décision de la CPI limite théoriquement les déplacements de Netanyahu, puisque n’importe lequel des 124 Etats membres de la Cour serait obligé de l’arrêter sur son territoire.
C’est la première fois que les juges de la CPI émettent un mandat contre des dirigeants israélien, un proche allié des Occidentaux, à des dirigeants qu’ils soutiennent et financent. Jusqu’à présent, il s’agissait de responsables secondaires, essentiellement africains et éloignés des puissants Etats américains et européens, Dans le cas de Poutine, il était considéré par la majorité des gouvernements occidentaux comme un opposant à l’Occident. Cette situation concernant la Palestine est intéressante parce qu’elle montre à quel point les Etats occidentaux sont hypocrites lorsqu’il s’agit de leur soutien. Ils veulent que la Cour agisse comme l’outil de leur politique étrangère. En ce sens, c’est un moment de vérité pour mesurer à quel point, la justice internationale est à géométrie variable, quand elle ne va pas dans le sens des intérêts de certains pays. Pour rappel, selon le droit international, l’ensemble des territoires palestiniens, Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, sont sous le régime de l’occupation militaire, depuis 1967. Cette notion est réaffirmée même par le Conseil de sécurité. Il ne s’agit pas de l’occupation de territoires palestiniens, qui seraient une solution temporaire destinée à conclure la paix, mais d’une occupation illicite, qui a pour but la conquête du territoire palestinien par la force armée, et dont l’expression la plus claire est la colonisation. C’est à la justice humaine de rétablir l’ordre, et de rétablir les Palestiniens dans l’histoire.
Concernant la déclaration des autorités française, elle n’impactera pas significativement la procédure de la Cour pénale internationale CPI, mais elle contribue à dégrader un peu plus, l’image de la France, un des États fondateurs de la CPI, qui se targue de surcroît d’être la « patrie des droits de l’homme ». La France, qui avait applaudi l’action du procureur contre Poutine en 2023, a changé d’attitude avec Netanyahou et Gallant. Cette duplicité fragilise la confiance dans le système du droit international. Se faisant, la France en tentant de saper, l’autorité de cet organe judiciaire, amoindri le poids du mandat d’arrêt délivré, quelques jours plus tôt par ses juges à l’encontre de Netanyahou et Gallant pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité » dans le contexte de la guerre à Gaza et le Président français se place du mauvais côté de l’histoire. Il devrait se demander si cela vaut la peine de saper à ce point le système de la CPI pour soutenir ces deux hommes. Ce n’est pas à la France d’invoquer les règles d’immunité, comme la fait le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, mais à l’État de la personne mise en cause, en l’occurrence les autorités israéliennes. Par ailleurs, d’un côté, la France souligne que Bachar El-Assad doit répondre de ses actes, de l’autre, elle défend le principe d’immunité de Netanyahou. Cette contradiction sape encore un peu plus, la crédibilité internationale, de ses dirigeants.
Par ailleurs, selon la jurisprudence de la CPI, seule la Cour peut examiner si l’immunité est imposable, et non pas aux autorités françaises de l’invoquer, il y a dans ce cas, un problème de connaissance juridique et une ingérence du pouvoir exécutif dans le judiciaire qui affaiblisse de nouveau l’image de la France. D’autant plus, que la France a révisé sa Constitution pour y faire figurer la CPI. Il faudra s’en souvenir lorsque la France voudra faire la leçon au sujet de l’État de droit, et ne pas oublier que cela met à mal le concept de justice internationale né à Nuremberg. Montesquieu affirmait que c’étaient les institutions, pas les individus, qui garantissaient le droit : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
Dénoncer les crimes de guerre, les documenter, les rappeler ne veut dire en aucun cas justifier, ni excuser les crimes de part et d’autre. La décision de la Cour pénale internationale a pris six mois contre trois semaines contre Poutine, pour statuer sur l’émission d’un mandat d’arrêt. On ne peut pas dire qu’elle fut expéditive. L’acte d’accusation ne nie d’ailleurs pas le droit d’Israël à se défendre, mais réitère que ce droit ne l’absout pas, comme les autres États, de respecter le droit humanitaire international. Le gouvernement de Netanyahou aurait pu s’en prendre au Hamas. Il s’en est pris essentiellement à la population civile de Gaza dans son ensemble, aux femmes, aux enfants, aux médecins, aux infirmiers, aux journalistes, aux travailleurs humanitaires. Le bilan est terrible : des dizaines de milliers de morts, en milliers d’amputés, des centaines de milliers de réfugiés, un territoire devenu inhabitable. Ce n’est pas une guerre au sens propre, c’est tout simplement un génocide.
Les bombardements indiscriminés au Liban, y compris en plein centre de Beyrouth et à proximité des sites romains de Baalbek et de Tyr, les milliers de morts au Liban, avec une très grande majorité de civils, de femmes, d’enfants là aussi, et plus de 1,2 million de réfugiés sont d’ailleurs exclus du mandat d’arrêt. Les violences continuelles des colons contre les Palestiniens de Cisjordanie (179 morts Palestiniens en Cisjordanie avant les attaques du 7 Octobre sur l’année 2023) le sont également. Les guerres israéliennes contre la bande de Gaza, la Cisjordanie et le Liban détruisent les vies et les territoires. Elles abîment aussi la crédibilité de l’Occident, enfermé pour l’essentiel dans un soutien univoque à Israël. En ce sens, dénoncer les massacres de civils à Gaza, dire tout cela, dire simplement la vérité, cela n’est pas être antisémite. Netanyahou mélange sciemment critique de la politique israélienne et antisémitisme. C’est un jeu non seulement pervers, mais dangereux. Peut-on imaginer dire que critiquer Macron, c’est être anti-français, que critiquer Biden, c’est être anti-américain? Et, l’on doit pouvoir, également, critiquer les dirigeants politiques israéliens, non pas pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font, pour leurs actes. La justice humaine doit juger. Quand des ministres israéliens parlent de déporter des populations entières de Gaza ou du Liban, se taire c’est aussi être complice. La décision d’invoquer l’immunité pour ne pas exécuter des mandats d’arrêt de la CPI révèle la profonde perte de repères éthique et juridique de l’exécutif. C’est un renoncement désastreux au rôle que la France prétend jouer dans la lutte contre l’impunité.
Comment répondre aux exigences de la justice internationale et les droits qui y sont associés, si les dirigeants des États comme la France ne respectent pas les décisions du droit international ? Tenter de minimiser ou de légitimer ces crimes est illégal. La justice doit être rendue, c’est aussi cela le fondement du droit, s’attacher avec fermeté à la justice et au droit. Imaginer enrayer la justice internationale est aussi dérisoire que de vouloir bloquer le cours d’une rivière avec un barrage fait de fétus de paille.