Les semi-conducteurs – Un enjeu géopolitique

Les semi-conducteurs

L’industrie des semi-conducteurs est au centre des enjeux géopolitiques et économiques mondiaux. L’invasion russe en Ukraine a évidemment eu de lourds impacts sur un secteur d’ores et déjà sous tension. La Chine, Taïwan et les Etats-Unis jouent également un rôle central dans la géopolitique des semi-conducteurs. Les semi-conducteurs (silicium, germanium, arséniure de gallium, carbure de silicium…) sont devenus les éléments les plus fondamentaux de l’économie mondiale. On les retrouve dans toute l’électronique moderne, dans les puces des ordinateurs et dans la plupart des moteurs de la transition énergétique, en premier lieu, les sources d’énergies renouvelables et les voitures électriques. Ce marché est ainsi l’un des plus prometteurs au monde. Son chiffre d’affaires s’élevait déjà à 600 milliards de dollars en 2021 et une étude McKinsey publiée en janvier 2023, estimait son taux de croissance entre 6 et 8% par an jusqu’en 2030, ce qui le conduirait à dépasser le chiffre de 1000 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie, dans la mesure où les moteurs de demande structurelle soutiendront la croissance. Un semi-conducteur est un matériau doté d’une propriété particulière, celle de la conductivité électrique. Ce transistor microscopique est présent, à travers des puces électroniques, dans la quasi-totalité des nouvelles technologies. Le semi-conducteur, qui prend généralement la forme de couches extrêmement fines et empilées, dispose d’un rôle hybride en termes de conductivité électrique, d’où l’usage du préfixe « semi ». Il peut être conducteur ou isolant. Cette binarité, liée à sa surchauffe ou à son exposition à une tension électrique, est fondamentale en informatique et rend ce matériau indispensable. Les matières premières constituantes d’un semi-conducteur sont tout d’abord le silicium, le plus utilisé, ainsi que l’arséniure de gallium ou encore le germanium.

La plus importante entreprise du secteur est la société taïwanaise TSMC qui produit 60% des semi-conducteurs du monde et 90% des semi-conducteurs les plus avancés. Sa position largement dominante sur un marché aussi capital est aujourd’hui un élément clé dont Taïwan se sert dans sa stratégie de survie face à la Chine dont, tout d’abord, le coût d’opportunité d’une invasion de la Chine. Les prévisions de chaos économique mondial qui résulterait d’une attaque de l’île peuvent contribuer à dissuader la Chine. Et par cette industrie stratégique, Taïwan lie en pratique son économie et sa défense à celle des États-Unis, c’est une autre manière de freiner les ardeurs de la Chine. Taïwan soutient donc massivement cette industrie qui est un enjeu géopolitique majeur, au cœur de la rivalité entre la Chine et les occidentaux emmenés par les États-Unis. Pour contrer les ambitions de la Chine, les États-Unis ont adopté une stratégie multiple, pour freiner l’expansion de la Chine dans le secteur critique des semi-conducteurs, afin de limiter l’utilisation des puces fabriquées à Taïwan à des fins militaires. Tout d’abord, au travers d’un volet offensif. En ce sens, les législateurs américains ont adopté une série de restrictions contre les entreprises chinoises du secteur. TSMC, qui fournit les États-Unis en puces, a cinq ans d’avance sur la Chine, qui devrait avoir du mal à rattraper son retard dans un domaine demandant des technologies parmi les plus avancées du monde. Ensuite sur un volet industriel, avec l’adoption du « Chips and Science Act » en aout 2022, qui prévoit 52 milliards de dollars d’aide à la production nationale de semi-conducteurs. Dans cette loi figurent également des mesures de rétorsion qui interdisent aux entreprises américaines de commercer avec deux entreprises chinoises : Huawei et SMIC. C’est l’expression même de la guerre économique que se livrent la Chine et les États-Unis.

La Chine accuse un retard assez conséquent dans la technologie des semi-conducteurs dont les performances sont en dessous de ses concurrents américains et taïwanais pour le moment. Elle importe 85% de ses puces pour plus de 400 milliards de dollars. L’État chinois a engagé 150 milliards de dollars dans le secteur privé qui a bénéficié en grande majorité à la plus grande entreprise de puces et microprocesseurs chinoise : SMIC. De l’autre côté, les États-Unis ont également appliqué une série de mesures pour réimplanter des centres de développement et de production sur leur territoire, dont TSMC qui devrait y construire deux nouvelles usines. Les Américains ont offert à l’entreprise des avantages en matière de fiscalisation et de réglementation afin de les attirer sur le territoire américain. Ce qui lie TSMC aux États-Unis, outre le fait que son fondateur historique ait été formé par les Américains, c’est la perspective de profit très intéressant. De plus, si la Chine venait à envahir Taïwan, les États-Unis continueraient à bénéficier de la technologie de TSMC. L’administration Biden a ainsi fait adopter la loi « Chips and Science Act » qui permet l’octroi à l’industrie privée des semi-conducteurs, d’une enveloppe de 52 milliards de dollars. Le but est d’aider les entreprises à investir sur le territoire américain. TSMC a déjà annoncé un investissement de 40 milliards de dollars. L’autre objectif indu est de délocaliser une partie de la production de TSMC aux États-Unis, afin d’anticiper les conséquences d’une réappropriation de l’ile de Taïwan, par l’Armée populaire de libération (APL). Par mesure de rétorsion, Pékin a rétorqué aux mesures américaines en renforçant la guerre commerciale. La Chine a banni Micron, géant américain des semi-conducteurs, spécialisé dans la mémoire et qui réalisait 10% de son chiffre d’affaire en Chine. Et Elle a également restreint les exportations de deux métaux stratégiques, le gallium et le germanium). Par ailleurs, les autorités chinoises, ont décidé d’aider financièrement cinq de ses fleurons nationaux (dont Huawei) pour les aider à rattraper leur retard sur TSMC. Avec pour objectif principal, de réduire l’écart technologique, d’ici les cinq prochaines années.

Il y a trente ans, l’Europe dominait ce secteur. En juillet 2023, les législateurs européens ont promulgué leur propre Chips Act, débloquant une enveloppe de 43 milliards d’euros d’investissements publics dans ce secteur, avec comme objectif d’inciter les investisseurs privés à s’installer sur son territoire, pour produire, en 2030, 20% de semi-conducteurs (contre 9% aujourd’hui). Intel par exemple a annoncé que son investissement dans une usine en Allemagne pourrait atteindre 100 milliards d’euros. Depuis, les annonces de créations d’usines se multiplient. Par ailleurs l’UE compte sur ces capacités de recherche et les accords bilatéraux pour développer le secteur des puces électroniques. Elle vient de signer un protocole d’accord, en ce sens, avec l’Inde. Cependant, l’UE fait face à de multiples contraintes qui risquent de l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Première de ces contraintes, le montant investi « n’est guère plus qu’une goutte d’eau dans l’océan et ne comblera pas l’écart entre l’Europe et les leaders de l’industrie. A titre de comparaison, pour la seule année 2022, le groupe TSMC a investi 36 milliards d’euros dans sa recherche et son développement. De plus, l’UE doit faire face aux restrictions américaines et aux difficultés d’approvisionnement imposées par les États-Unis, dans ce domaine. Enfin, l’UE souffre de problèmes endogènes et accumule des retards dans ce secteur. Elle manque de main d’œuvre qualifiée et de grandes industries dans la construction des puces, et ces industries mettent des dizaines d’années à mettre en œuvre.